Le Miroir, Jeu de Reflets
Petite histoire du miroir
Les miroirs sont des objets très anciens. On en trouve des traces vers 6000 avant J-C, taillés dans la pierre : l’obsidienne. Puis au fil des âges, les miroirs en métal sont apparus, et laissèrent petit-à-petit la place aux miroirs en verre (avec un film de mercure pour commencer puis remplacé par un film d’argent à cause de la dangerosité des vapeurs). Mais il faut bien se dire que le miroir, ou plutôt sa fonction de réflexion a commencé lorsque les premiers hommes se sont observés dans l’eau, le plus souvent la nuit, à la clarté de la lune.
Par ailleurs, tout comme la lune, le miroir est un des symboles de la féminité. On retrouve cet attribut du miroir chez la déesse Vénus/Aphrodite qui est encore présent de nos jours sous la forme ♀, ainsi qu’auprès de la déesse japonaise Amatérasu.
Le principe de base est plutôt simple. Il suffit d’avoir une surface réfléchissante qui renvoi toute la lumière qu’elle reçoit.
Lorsque la surface est plane, alors l’angle de chaque rayon incident (qui arrive sur le miroir) est égal à l’angle de réflexion. Ainsi lorsque l’on est pile en face, le miroir nous renvoie notre propre image, mais inversée. On dit qu’elle est énantiomorphe. Lorsque la surface n’est pas plane (toute combinaison de concavité ou de convexité confondue), alors il est déformant, comme on peut les trouver dans les fêtes foraines.
Le miroir sans tain est constitué d’une surface en verre, comme les miroirs classiques, mais plutôt que d’avoir un film complètement occultant en argent, il est couvert d’une mince pellicule de particules d’Argent métalliques. Ainsi lorsque la lumière arrive au travers de la vitre, elle est en partie renvoyée par les particules métalliques, créant l’effet miroir. Cependant, si de l’autre côté de la vitre on se trouve dans une pièce sombre, la portion de lumière qui n’est pas renvoyée arrive jusqu’aux yeux de l’observateur, qui peut voir sans être vu.
Enfin, si on ne considère pas soi comme objet, le miroir nous permet de regarder derrière nous, comme avec les rétroviseurs. Par analogie il nous invite donc à regarder notre passé et à y être vigilant par l’influence qu’il pourrait avoir sur notre présent.
Le miroir, ou la confrontation à soi
Lorsque l’on se regarde dans un miroir, on est confrontés à notre propre image. Qui n’a pas de miroir chez lui ? On peut se regarder dedans, nus et voir tous nos atouts physiques et toutes nos imperfections. En ce sens le miroir porte ce symbole de Vérité sans artifice. Il nous renvoie une réalité crue, sans délicatesse et sans jugement.
L’expression « Les yeux sont le miroir de l’âme » transcrit cette notion de vérité. L’âme, siège de nos émotions, se manifeste au travers de notre regard. Ainsi ô combien une personne peut essayer de cacher ses intention et émotions, son regard saura révéler ce qu’elle veut taire.
Et pourtant, plus on s’y fie, plus on se leurre. On s’expose à soi et aux autres selon une image qui est inversée. On base une partie de la perception de soi sur une illusion. Le miroir peut alors revêtir le symbole de la Tromperie.
C’est cet aspect là qui est mis en avant dans le mythe d’Orphée, lorsqu’il va chercher Eurydice aux Enfers. Il est dupé par le reflet du soleil sur un miroir et perd sa bien-aimée. On retrouve aussi cette perception dans l’expression « Le miroir aux alouettes », qui est un piège pour chasser les oiseaux. On l’utilise pour désigner quelque chose qui nous attire et qui pourtant peut nous décevoir ou nous blesser.
Cette notion de réflexion se retrouve dans l’introspection et l’organisation de la pensée. Elle correspond donc à Ajna, le 6ème chakra, celui du 3ème œil. Quelle sont mes perceptions ? Quelle sont mes analyses ? Lorsque ce chakra est en carence énergétique, alors on n’arrive pas à voir clair dans sa vie, on se sent dépassés par les évènements car le mental n’arrive pas à faire de liens entre les choses que l’on voit et que l’on vit. Lorsque c’est le contraire et qu’il est sur-actif, alors on se met à tout mentaliser, découper et ordonner. Mais si on ne se focalise que sur ce mode de fonctionnement, alors on oublie que l’on perçoit et expérimente le monde aussi par de nombreux autres moyens comme les émotions, la foi ou le corps.
Le miroir nous invite donc à travailler sur notre identité propre. Posons-nous alors la question : dans ce que je vois, ce que je sens, ce que je juge de mon reflet, qu’est-ce qui est le vrai moi, et qu’est-ce qui le déforme ? Je suis moi, je ne suis pas mon reflet. A quel point est-ce que je m’identifie à mon image alors que c’est une perception erronée de mon moi profond ?
Le miroir matériel, porte vers un monde immatériel
Le miroir en tant que tel est un objet du monde physique. Pourtant l’image qu’il projette est un espace complètement virtuel. C’est pour cela qu’il a été considéré comme une porte sur un autre monde, un monde parallèle à celui de notre réalité où des phénomènes subtils et invisibles ont lieu.
Pour commencer, notre reflet pourrait être une projection de notre âme selon cette approche. Ainsi lorsque l’on s’observe dans un miroir, on regarde notre âme. C’est une démarche d’introspection. Quel message mon âme a-t-elle pour moi ? Qu’est-ce que mon reflet révèle sur moi ?
Cette thématique a souvent été explorée au cinéma, avec des personnages qui discutent avec leur propre reflet. Bien que ce dialogue soit souvent associé à des troubles de la personnalité, il est intéressant de comprendre le symbole sous-jacent.
Soit le miroir me montre des parties sombres de moi que j’occulte et qui pourtant ont une emprise sur moi. On a dans ce cas à faire à une manifestation de l’inconscient, et le miroir reprend son attribut de révélateur. Soit mon reflet est une illusion, une tentative de manipulation par des créatures malveillantes. Le miroir trouve ici ses atours de leurre et de duperie.
Lorsque l’on dit « 7 ans de malheur » au bris d’un miroir, cela est lié au fait de briser notre reflet. Les 7 ans se rapportent à la croyance romaine de l’Antiquité qui affirmait que notre vie était soumise à des cycles de 7 années. Ainsi, briser son reflet et donc son âme, reviendrait à de la malchance jusqu’à la fin du cycle en cours.
Un exercice bien connu utilisé chez les animaux est le test du miroir : ceux qui arrivent à comprendre qu’ils voient leur propre reflet sont doués de conscience de soi. Ils ne perçoivent pas leur image comme un autre individu. Devons-nous donc considéré que s’ils arrivent à comprendre qu’ils ont un reflet, c’est qu’ils ont une âme ?
La réflexion de l’âme dans le miroir lui a donné une « fonction » inattendue : celle de pouvoir capturer les âmes.
Dans de nombreuses traditions, il est courant de couvrir les miroirs d’un drap dans le lieu de décès d’une personne afin qu’elle puisse passer dans l’au-delà.
Certaines pratiques de sorcellerie usaient même des miroirs pour capturer l’âme d’une personne vivante, et la transformer ainsi en « zombie », simple corps sans volonté, sujet à toute influence extérieure.
On retrouve ce pouvoir dans la photographie. Les indiens d’Amérique pensaient que les clichés volaient une partie de leur âme. On retrouve ainsi l’association image = âme.
Le mythe de Narcisse fait écho à cette fonction du miroir. La prophétie indiquait qu’il ne devait pas voir son visage pour vivre longtemps. Mais il vit son reflet dans une source d’eau, tombât amoureux de son propre reflet et se laissa mourir pour ne pas être séparé de lui.
Le principe de monde parallèle a donné la catoptromancie dans l’Antiquité qui se perpétue encore de nos jours notamment en Afrique subsaharienne. Les miroirs sont utilisés pour la divination grâce à leur capacité à capter l’invisible. Les divers reflets perçus permettraient d’avoir des éléments de prévision de l’avenir. Un des exemples dans la culture populaire de cette pratique est la reine de « Blanche-Neige » qui utilise cette méthode.
Dans certaines croyances, on invite les jeunes femmes à se regarder dans le miroir le jour d’halloween pour découvrir le visage de leur futur mari ou bien la date de leur mort.
De par sa fonction de réflexion et son lien avec le monde immatériel, il est aussi utiliser pour renvoyer les sortilèges et les malédictions à leurs sources. Certains chamanes ornent leurs tenues pour voyager en sécurité dans le monde des esprits. Chez les taoïstes, on place un miroir octogonal au-dessus des portes des maisons pour offrir protection au foyer.
Quelque soient les usages, le miroir a été utilisé de tout temps comme extension de l’utilisateur pour interagir avec le monde invisible. Il a donc eu une place de choix auprès des mystiques du monde entier et a aussi permit, au vu de sa disponibilité, un accès à la portée des profanes à ce monde parallèle.
Le miroir Social, ou les multiples reflets de l’Unicité
Le monde extérieur est une sorte de miroir de notre monde intérieur. Nous pouvons considérer qu’il est neutre, sans affect positif ou négatif. Par contre si certaines choses, personnes, évènements nous font réagir, c’est que le monde extérieur reflète une blessure ou un souvenir en nous. Et nous réagissons physiologiquement selon un conditionnement positif ou négatif.
Par exemple, si je croise quelqu’un dans la rue que je ne connais pas, je devrais avoir une réaction neutre. Cependant, si cette personne, même de manière inconsciente, me fait penser à quelqu’un dont j’ai connu la violence, alors mon corps réagira automatiquement, par des sueurs, une montée de stress, une envie de s’éloigner… Il en va de même pour un bon souvenir. Si j’aimais aller à la fête foraine parce que ça me rappelle des bons moments en famille, alors quand je vois une grande roue au loin, cela réactive un sourire, une sensation de bien être ou d’excitation.
Par extension, l’autre est aussi notre propre reflet. Si nous avons des accroches ou des inimitiés avec une personne, c’est parce que cela réactive des associations liées à notre passé. J’apprécie une personne ordonnée ? Qu’est-ce que ça vient toucher chez moi ? Un reflet de moi parce que je suis dans cet état d’esprit et que je me reconnais un peu en l’autre ? Ou bien peut-être que ça me rassure parce que je peux avoir tendance à oublier les choses et que qu’il/elle sera là pour me rattraper ?
Le choix de notre partenaire fonctionne souvent selon le même principe. On peut retrouver des traits physiques, de caractère ou même le métier qui sont similaires voire identiques que chez nos parents. On projette donc notre passé (où l’on a des souvenirs agréables et/ou sécurisants) dans notre futur (inconnu et donc insécurisant) et reflétons encore et encore des schémas, des situations connus comme dans une galerie des glaces, avec des miroirs légèrement déformants.
Nous avons dans notre cerveau des « Neurones miroirs » qui nous permettent la projection et l’empathie. C’est notre faculté naturelle à imiter les autres et à nous projeter à leur place. Un exemple simple de leur intervention se trouve dans l’acquisition d’un accent quand nous voyageons d’une région à l’autre ou bien la contagiosité du bâillement. Ils jouent un rôle prépondérant dans l’apprentissage par imitation.
Pour revenir sur le bris du miroir, on aura beau le fracturer encore et encore, il continuera toujours à nous refléter mais de manière de plus en plus parcellaire. Cela peut être une métaphore intéressante à explorer. Plus nous multiplions les images de nous même, plus elles reflètent une infime partie de nous et plus nous perdons en authenticité. Ainsi, il pourrait être enrichissant pour mieux se connaître de se rendre compte de chaque image, rôle, ou masque que nous proposons au monde extérieur, afin de reconstituer notre image première.
Dans notre société occidentale, nous faisons un culte à l’image et au corps. Par le phénomène d’introjection, nous devenons le reflet du groupe. Nous assistons donc à une inversion du mécanisme d’identification. L’autre n’est plus un reflet de moi, mais je deviens comme l’autre veut que je sois. Et comme ces messages liés à l’image sont omniprésents (notamment par la publicité et les réseaux sociaux), nous assistons à une uniformisation de la société. Je m’identifie à mon image. La forme devient plus importante que le fond.
C’est là qu’énergétiquement on assiste à une tendance à la fermeture du chakra du Cœur (Hanahata) au profit d’une ouverture du chakra Solaire (Manipura). L’ouverture à l’autre désintéressée devient progressivement intéressée et mûe par l’égo.
Du point de vue de la Physique, l’Image n’apparaît dans un miroir que si l’Objet est éclairé.
Ainsi, et pour conclure, si on pousse la métaphore, cela ne reviendrait-il pas à dire que notre image n’existe que parce que nous sommes dans la lumière ? Plus on chercherait à être dans la lumière, plus notre image prendrait de la place.
Et pourtant, si nous sommes complètement dans le noir, certes notre image n’apparaît pas, mais nous existons quand même.
– Sébastien Mahé